2e génération issue de l'immigration
Maryse Potvin, Paul Eid et Nancy Venel (dir.), La 2e génération issue de l’immigration. Une comparaison France-Québec
Les problèmes d’intégration à la fois civique et sociale des jeunes de la deuxième génération, problèmes derrière lesquels se profilent des discours non explicites d’exclusion raciale, ethnique et culturelle, font l’objet de ce livre. Bien que ces sujets soient connus des lecteurs et lectrices de la RIMI, ce livre représente une contribution intéressante qui fait découvrir les défis de l’immigration non-occidentale en France (ancien pays colonisateur) ainsi qu’au Québec (ancienne colonie française). Les auteurs présentent des résultats d’études illustrant les différences et les similitudes dans la situation des jeunes issus de la deuxième génération d’immigrants au sein de sociétés ou pays (le lecteur est libre de son opinion face à la position du Québec comme nation, pays, ou province canadienne) francophones d’Europe et d’Amérique du Nord. Bien que les politiques d’immigration et d’intégration civique et sociale des nouveaux arrivants ne soient pas les mêmes en France qu’au Québec, principalement quant aux notions idéologiques de la citoyenneté, il n’en demeure pas moins que les défis liés à l’intégration sociale et à la formation de l’identité présentent bien plus de similarités que de différences.
Les auteurs de ce livre démontrent qu’au cours des 20 dernières années, l’intérêt porté à l’intégration sociale des jeunes immigrants de la deuxième génération comme sujet d’études sociologiques a été plus marqué en France et au Québec que dans les pays anglo-saxons. La thématique centrale de ce livre porte sur l’exploration des effets des politiques d’exclusion et de stratification raciale et ethnique sur l’intégration sociale, les formations identitaires, et la pleine participation citoyenne. Les diverses trajectoires scolaires, professionnelles et sociales des jeunes de deuxième génération d’origine maghrébine, turque et portugaise de France sont analysées parallèlement avec celles des communautés non-occidentales visibles québécoises. Le modèle d’immigration et d’intégration français ne favorise pas la reconnaissance de la diversité culturelle et du pluralisme ethnique. Plutôt, il suggère fortement l’adhérence aux valeurs assimilatrices dite républicaines: une nation française, un peuple français. L’approche réductionniste du modèle républicain français semble contribuer non seulement à effacer la notion de pluralité ethnique, mais également à rendre difficile la reconnaissance des stratifications sociales liées à la race et l’ethnicité, reléguant ainsi la discrimination au plan de la subjectivité et parfois même à celui de l’imaginaire. En fait, le discours sur l’égalité est un sophisme car si tous les Français sont censés être égaux en ce qui touche la citoyenneté, les auteurs montrent par les résultats présentés dans ce livre, que certains Français sont plus égaux que d’autres - d’où l’illusion créée par le discours égalitaire sur l’immigration et l’intégration en France. Les auteurs démontrent que le discours égalitaire français ne se reflète pas dans la réalité sociale, qui d’ailleurs se caractérise par l’émergence et l’application d’un néo-racisme différentiel. Ce néoracisme différentiel place les jeunes issus de la seconde génération dans un no man’s land social, où ils sont perçus comme étant culturellement et matériellement adaptés à la société d’accueil mais toujours comme des étrangers par rapport au Nous de la majorité française. La persistance d’un taux élevé de chômage, de difficultés et d’obstacles liés à la réussite scolaire, de barrières d’accès à l’emploi et au logement auxquels ces jeunes de la seconde génération font face, démontre que l’adaptation culturelle ne se matérialise pas à l’égard de l’intégration sociale et citoyenne car ces jeunes demeurent socialement marginalisés, sinon totalement exclus de la société dominante française. Cette marginalisation engendre le phénomène de ghettoïsation des banlieues urbaines françaises où les jeunes sont étiquetés comme étant socialement dangereux, phénomène qui, à son tour, engendre la révolte chez ces jeunes qui ne sont pas considérés comme des citoyens français à part entière mais relégués au rang de citoyens subalternes. Au Québec (Simard), il semble que la politique de l’interculturalité, contrairement à la politique d’immigration française, ne met pas l’accent sur une assimilation tout azimut à la société d’accueil francophone majoritaire. La politique d’interculturalité québécoise serait plus favorable au pluralisme culturel ainsi qu’au maintien de certains particularismes ethniques. La question se pose alors à savoir si la reconnaissance de l’interculturalité prônée par l’État québécois donne de meilleurs résultats relativement à l’intégration sociale et citoyenne des jeunes de la deuxième génération par rapport à la politique assimilationniste française. Alors que ce livre tente d’apporter des réponses à ce questionnement, il semble que quelque soit le modèle (républicain or québécois), les jeunes de deuxième génération sont confrontés au dénominateur commun appelé racisme individuel et institutionnel, ce que les auteurs français de ce collectif illustrent et documentent particulièrement bien.
Le livre est divisé en deux parties. La première partie du livre constitue une exploration des mécanismes de participation, d’insertion et d’exclusion sociale, par une analyse des politiques d’immigration de la France et du Québec. La seconde partie du livre expose plus en détail la production des appartenances et des identités. Le premier chapitre (Simon) dépeint la mobilité sociale des jeunes de secondes générations turques, marocaines et portugaises en France quant à l’accès à l’éducation et au marché du travail, illustrant l’immobilisme social des générations turques par rapport à celle des générations marocaines et portugaises. Le chapitre deux (Noël) met en lumière la subtilité des pratiques discriminatoires au sein du petit patronat français qui renforcent l’exclusion sociale et bloquent en partie l’accès au marché du travail et à la réussite sociale et économique. L’implication étatique par l’introduction de lois ou de chartes n’a eu que très peu d’effets tangibles sur le racisme institutionnel du petit patronat français, illustrant le paradoxe du modèle républicain où l’égalité suscite des inégalités en rendant invisible les pratiques discriminatoires basées sur la race et l’ethnicité. Ainsi, toute référence à la discrimination est simplement niée ou minimisée, rejetée hors de l’espace public. Il en résulte une stagnation de la mobilité sociale et économique qui donne naissance à des comportements de violence sociale parmi les jeunes de seconde génération.
Parallèlement, ce néo-racisme différentiel accorde de manière indirecte une sorte de légitimité au radicalisme politique et au fondamentalisme religieux, accentuant par le fait même le repli social de ces communautés que les auteurs définissent comme étant l’objet d’une sorte d’extermination sociale. Le chapitre trois (Santelli) invite les lecteurs à relativiser les défis liés à l’intégration sociale afin de combattre l’étiquette de dangereux accordée aux enfants d’immigrés en soulignant qu’au moins un tiers des jeunes d’origine maghrébine de la région de Lyon profitent d’une stabilité professionnelle conjuguée à une ascension sociale nette comparée à celle de leurs parents. L’intégration et l’insertion sociales ne peuvent être définies selon une approche uniforme et linéaire, mettant donc en relief l’interaction entre de nombreuses variables, notamment le genre et le niveau d’éducation. Notamment, la variable du genre facilite l’intégration sociale des jeunes femmes d’origine maghrébine comparativement aux jeunes hommes qui, eux, portent le poids social des stéréotypes négatifs de dangerosité sociale découlant de l’islamophobie. Le chapitre quatre (Simard) décrit un processus d’intégration globale qui a réussi au Québec auprès de jeunes de deuxième génération ayant été élevés par des parents de classe économiquement aisée dans les régions (excluant les grandes zones urbaines de Montréal et Québec). Un peu plus de la moitié des jeunes étaient d’origine européenne, le reste de l’échantillon étant composé de jeunes non-occidentaux d’origine africaine, asiatique, latino-américaine et haïtienne. L’auteure affirme que les jeunes ont su développer une culture hybride, métissée, en combinant leurs différences culturelles pour former une nouvelle identité québécoise qui intègre l’interculturalité. Cependant, il aurait été intéressant d’apprendre s’il y avait des différences intra-groupes, entre les jeunes d’origine occidentale et ceux d’origine non-occidentale, sur le plan de la formation identitaire. On décrit ces jeunes comme étant ouverts sur l’Europe, l’Asie et le monde, contrairement aux jeunes Québécois d’origine canadienne-française que l’on caractérise comme étant plus territoriaux et moins hybrides car ils sont malgré tout encore attirés par le Canada anglais et les États-Unis. Il aurait peut-être fallu pousser davantage l’analyse du contexte historique, démographique et social pouvant expliquer cette attirance des jeunes Québécois non-immigrés vers la culture anglo-saxonne. Ne ferait-elle pas partie de la dualité identitaire des jeunes Québécois d’origine canadienne-française?
La seconde partie du livre se compose de six chapitres qui décrivent des résultats d’études portant sur la production des appartenances ethnoculturelles et des identités au sein de groupes ethniques spécifiques comme les immigrants du Maghreb en France et d’Haïti et du Maghreb au Québec. Le chapitre cinq (Venel) semble d’un intérêt particulier pour les lecteurs de la RIMI car il traduit une analyse fine de la notion identitaire chez un groupe de jeunes Français de foi islamique ou musulmane. L’auteur porte un éclairage critique sur la signification des dualismes tels que laïcité et intégrisme, exclusion et participation, le tout dans le but de relativiser l’étiquette de l’Islamiste non intégré et socialement menaçant. Bien qu’il existe une corrélation entre la religion et l’appartenance nationale, Venel soutient que des facteurs culturels, sociaux et économiques entrent en jeu pour radicaliser l’une au dépend de l’autre, affectant ainsi le devoir de citoyen et le devoir de la pratique religieuse ou stimulant la recherche d’accommodations.
Pour conclure, ce livre représente un intérêt pour les lecteurs et lectrices de la RIMI désirant mieux connaître la situation de l’immigration des communautés nonoccidentales de France et du Québec, et intéressés à une comparaison entre les mérites de l’approche républicaine française et ceux du modèle interculturel québécois. Ce livre contribue à l’expansion des connaissances en dévoilant des résultats empiriques portant sur les défis et les succès de l’intégration sociale et économique, ainsi que sur les formations identitaires et citoyennes des jeunes de la seconde génération d’immigrants au sein de deux sociétés majoritairement francophones. En ce sens, ce livre montre que les problèmes d’intégration sociale des jeunes de la seconde génération doivent être interprétés dans un contexte global et transnational qui transcende les frontières linguistiques ou strictement politiques. Les problèmes des jeunes de seconde génération issus de communautés non-occidentales en France et au Québec ressemblent à certains égards à ceux que confrontrent les jeunes de seconde génération dans cette ère néolibérale et postcoloniale marquée par les évènements qui ont suivi l’attentat du 11 septembre et la politisation de la différence culturelle (Giroux 2002). Ce livre aide à déconstruire les stéréotypes qui essentialisent les Musulmans ou les immigrants d’origine arabe ou de foi islamique. Force est de reconnaître que les auteurs français n’hésitent pas à discuter du racisme alors que la discrimination raciale semble être plus ou moins escamotée dans les présentations des auteurs québécois. Une connaissance historique du contexte du Québec au sein du Canada pourrait aider les lecteurs et lectrices à mieux saisir la complexité de la formation identitaire et des processus d’intégration des jeunes de deuxième génération au Québec. Il semble que le contexte historique de la dualité Québec-Canada aurait bénéficié d’un traitement plus détaillé puisqu’elle est au coeur de la formation, de la différenciation et de l’affirmation identitaire québécoise (voir Maclure 2003).
Louise Racine, Université de la Saskatchewan, Int. Migration & Integration (2009) 10:117–120
References
Giroux, A. H. (2002). «Democracy and the politics of terrorism: Community, fear, and the suppression of dissent. Cultural Studies-Critical Methodologies», 2(3), 334–342.
Maclure, J. (2003). Quebec identity. The challenge of pluralism. Montreal & Kingston, London, Ithaca: McGill-Queen’s University Press.