Crise de l'État, revanche des sociétés
Crise de l'État, revanche des sociétés
L'État moderne (les auteurs parlent de l'État westfalien - cf p. 373) est en crise. Circonscrit au territoire national, il est incapable d'intégrer la globalisation des marchés et du commerce et voit notamment les acteurs économiques le déborder de toutes parts. À l'interne également, l'identité nationale ne parvient plus à endiguer la prolifération des régionalismes et l'affirmation des peuples (notamment autochtones) dont l'histoire ou la culture n'arrive pas à se dissoudre au sein de l'entité nationale. D'autre part, l'exercice du pouvoir s'est complexifié avec l'émergence d'une technocratie professionnelle qui semble faire écran au discours proprement politique. Par ailleurs, après les années cinquante, la résistance de la revendication de l'individu à l'égard de l'État devient de plus en plus évidente: anarchisme d'une part, requête libertaire d'autre part. Bref, il y a crise, une crise que les responsables du présent dossier interprètent comme une revanche de la société contre l'État.
Cerner une telle crise est un défi considérable. Crise de l'État, revanche des sociétés est en fait un livre collectif réunissant divers travaux de la Chaire de recherche du Canada en mondialisation, citoyenneté et démocratie de l'UQAM. C'est un livre tout à fait remarquable, complexe, souvent très difficile à lire, mais qui fourmille d'analyses fines et d'informations pertinentes, et qui, surtout, aide à comprendre.
L'introduction du livre par Raphaël Canet est si théorique qu'elle en est indigeste et risque de décourager le lecteur d'aller plus loin. Ce serait dommage. La première partie porte sur la crise de l'État et comprend deux sections. La première, sur le changement de paradigme, est très éclairante - en particulier un article de Josepha Laroche sur le système transnational. La seconde section, sur la critique de l'État-nation territorialisé, comprend quatre contributions qui sont autant d'études de cas. Un article de Jean-Marie lzquierdo sur la question basque permet d'apprécier la contribution de la réflexion québécoise sur la souveraineté.
La seconde partie analyse la revanche des sociétés. Une première section porte sur contestations et altermondialisme. Une section tout à fait remarquable sur un sujet difficile. La deuxième section regroupe des études sous le thème «société civile et gouvernance mondiale». À signaler, dans cette section, un bon texte de Sylvie Paquerot sur la gouvernance mondiale dans le domaine de l'eau et un article à la fois simple et critique de Jan Aart Scholte sur la société civile et la démocratie dans la gouvernance mondiale (en fait, la traduction d'un article déjà publié en anglais).
La conclusion est de Jules Duchastel. Tout en reprenant certains des articles du collectif, Duchastel propose une vision d'ensemble éclairante et stimulante.
L'ouvrage a, bien sûr, les défauts de son genre – par exemple d'inévitables redites sur la nature de la gouvernance, de la société civile, de l'État, de l'altermondialisation, etc. La perspective est surtout internationale et dit peu de choses sur la manière dont est vécue la démocratie dans le concret et sur les voies de son renouvellement. Par ailleurs, le volume est considérable. Le caractère d'imprimerie est si petit (chaque page a environ 400 mots) que c'est à s'en arracher les yeux! Certaines contributions semblent des mises à jour d'articles parus ailleurs. Tout cela reste accessoire. Voici un bon livre pour comprendre où va notre société.
André Beauchamp, Relations, no 716, avril-mai 2007.
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Voilà un ouvrage collectif qui reflète bien son titre du début à la fin, tout en gardant un certain fil conducteur entre les différentes contributions, surtout dans la deuxième partie où il est question d’altermondialisation. Le lecteur saura gré aux responsables de cette publication d’avoir réuni des collaborateurs dont l’érudition permet d’offrir des textes de grande qualité, appuyés par une documentation aussi vaste que variée, d’une lecture agréable et non hermétique, comme le sont trop souvent les œuvres académiques. C’est à la Chaire de recherche du Canada en mondialisation, citoyenneté et démocratie (MCD) de l’UQAM, dont J. Duchatel est titulaire, que l’on doit cet effort collectif auquel contribuent des universitaires aussi bien québécois, que canadiens, français et anglais. Duchatel et Canet n’en sont pas à leurs premières armes auprès de cette maison d’édition, ayant publié depuis 2003 trois autres titres sur des sujets se rapportant aux préoccupations de la chaire MCD qui existe depuis 2001. Le présent volume comprend deux parties qui reprennent le titre de l’ouvrage, chacune étant partagée en deux sections où se retrouvent les dix-neuf auteurs.
R. Canet ouvre la marche avec une introduction qui pourrait être lue en même temps que la conclusion globale de J. Duchastel, étant donné qu’elle prend davantage la forme d’une introduction que d’une conclusion. Le premier, en se rapportant au titre du volume, précise que les auteurs s’inscrivent dans le courant de la nouvelle sociologie des relations internationales. Pour sa part, Duchastel évoque les fissures de l’édifice institutionnel issues de la modernité qui incitent à remettre en cause les institutions politiques et à inventer de nouvelles pratiques en vue de redéfinir la démocratie.
Dans cet ouvrage, il est abondamment question d’un concept qui a envahi les discours et les écrits depuis une dizaine d’années: celui de la société civile. Un concept qui ne peut qu’agacer tous ceux qui se sont intéressés au développement communautaire et qui continuent à encourager la participation de la population à l’intérieur des différents mécanismes décisionnels plutôt que de parler de la contribution de cette soi-disant société civile. Mais on peut savoir gré à Canet de fournir pas moins de sept définitions différentes, alors que l’on s’en tient d’habitude à celle, bien connue, de Gramsci. Cinq autres auteurs puisent à leur tour dans leur érudition pour définir ce concept à leur façon. C’est ainsi que D. Couvrat de l’UQAM, dans un chapitre intitulé Altermondialisme, société civile et démocratie radicale, nous apprend que nul autre que Tocqueville y a recours dans son De la démocratie en Amérique, sans toutefois le définir.
Il fallait s’y attendre, R. Carnet ne pouvait passer à côté d’un autre concept qui s’avère de nos jours tout à fait incontournable: la gouvernance. Alors que vers la fin des années 1990, on n’y pouvait voir rien d’autre qu’un de ces buzzwords dont les milieux académiques sont si friands, on en reconnaît de plus en plus sa pertinence dans un monde où divers acteurs sont appelés à avoir voix au chapitre dans la prise de décisions sur des sujets qui les touchent directement ou indirectement. Ainsi J.A. Scholte, de Warwick University, complète les informations déjà fournies sur la gouvernance après avoir, à son tour, donné son point de vue sur la société civile dans un chapitre intitulé La société civile et la démocratie. Elle écrit ainsi: «Alors que nous avions l’habitude de parler de gouvernement, il convient maintenant de parler de gouvernance». Aux yeux de cette auteure, si l’État ne disparaît pas, il faut admettre que l’on assiste à la fin de l’étatisme en tant que mode de régulation prédominant. Toujours en relation avec le concept de la gouvernance, J.M. Siroën, de Paris Dauphine, y ajoute celui de la globalisation en insistant, et on ne peut qu’être d’accord, sur le fait qu’il ne faut pas confondre globalisation avec internationalisation. Avec cette dernière, le monde est en effet une somme de nations interdépendantes tandis qu’avec la globalisation, le monde se trouve intégré dans un contexte dépourvu de frontières.
Ce chapitre pave la voie à d’autres collaborateurs en traitant de l’éclosion (!) des organisations non gouvernementales (ONG). On admettra que, si le phénomène associatif n’est pas nouveau, effectivement, des ONG d’envergure internationale occupent cependant une place grandissante (depuis le sommet de Rio 1992) au sein des grands débats qui animent les grands corps internationaux tels que l’OMC. Ces ONG ont pour avantage, selon l’auteur, de fournir à leur tour des biens publics (information des citoyens, production de biens de santé, d’infrastructure, d’éducation, etc). À l’instar d’autres collaborateurs, l’auteur évoque le glissement sémantique vers la gouvernance qui accompagne l’évolution vers la diversification et, parfois, favorise la mise en concurrence de l’offre de biens publics.
Avec le chapitre intitulé Régionalisme et autonomie en Europe occidentale, É. Vallet et S. Lavorel, respectivement de l’UQAM et de l’Université Grenoble II, présentent une fort intéressante réflexion sur le traitement des revendications régionalistes et minoritaires vues comme une des préoccupations majeures des démocraties d’Europe occidentale. À leurs yeux, l’autonomie se présente comme une solution permettant de garantir, à un groupe qui diffère de la majorité de la population de l’État mais qui constitue la majorité dans une région donnée, un moyen d’exprimer son identité distincte. Il ne s’agit donc pas d’un état (avec un «é» minuscule) achevé, puisqu’on est plutôt en présence d’un processus de distanciation entre l’État et les collectivités régionales, d’une autonomie susceptible de se modifier progressivement. Ces réflexions pourraient, par exemple, inspirer grandement les Kabyles suite à la création en 2001 d’un mouvement favorisant une certaine autonomie de la Kabylie à l’intérieur d’une Algérie demeurant unie. Par ailleurs, les auteures risquent de semer une certaine confusion en associant autonomie et décentralisation car elles se réfèrent aux lois françaises de 1982- 1983 sur la décentralisation. Il s’agit, on le conçoit aisément, d’une tout autre problématique que celle se rapportant à l’identité de populations minoritaires. Le lecteur québécois trouvera à n’en pas douter, plus pertinente l’allusion à l’Espagne susceptible d’évoluer vers un fédéralisme asymétrique. Le même lecteur, curieux de savoir ce que représente le strapontin offert en 2006 au Québec par l’UNESCO, pourra accorder une attention particulière au chapitre d’I. Roy, de l’Université d’Ottawa, portant sur l’impact des minorités sur les relations internationales.
La section 1 de la deuxième partie se rapporte à l’altermondialisme et aux forums sociaux qui en constituent la principale tribune. Ici, le parti-pris des auteurs ne laisse aucun doute, le style académique faisant parfois place au style journalistique rappelant Le Monde diplomatique. Ainsi. D. Drache, de York University, se penche sur l’échec du sommet de Cancun en soulignant l’émergence d’un Sud global en tant que nouveau bloc politique cependant encore fragile. Très critique envers les politiques de l’OMC, l’auteur ne fait pas dans la nuance en évoquant l’hypocrisie des échanges en tant que principal moteur de la dissidence. Il y voit le résultat des pratiques de l’OMC qui se font à l’abri de l’examen public. Pour sa part, C. Désy, de l’UQAM, dans une section portant sur l’utopie démocratique, s’interroge sur la possibilité que de nouveaux modèles émergent de la contestation de la mondialisation. On y retrouve le slogan du FSM de Porto Alegre: «Un autre monde est possible». L’auteure semble y croire même si elle ne convainc nullement sur les possibilités de déboucher prochainement sur des propositions réalistes et concrètes. En attendant le rêve se poursuit... Sous un angle moins idéalisé, R. Canet et S. Perrault traitent des forums sociaux en opposant le consensus de Porto Alegre à celui de... Washington. Et on ne manque pas d’évoquer le «tourisme révolutionnaire auquel donnent lieu ces grandes rencontres bien médiatisées. Qui ne connaît pas quelqu’un faisant partie de ce jet-set altermondialiste qui, au début de 2007, s’est donné rendez-vous, cette fois à Nairobi, pour le FSM de l’année? Pour poursuivre en mode réaliste, J.A. Scholte met en évidence, en sept points, les dangers démocratiques de la société civile, ce qui n’est pas sans rappeler les billets de Lysiane Gagnon de La Presse, qui ne manque jamais une occasion de s’interroger sur la représentativité des dirigeants des diverses ONG contestataires (élus par qui?). Comment ne pas être d’accord avec le constat que certaines ONG n’offrent à leurs membres guère d’occasions de participer autrement qu’en versant une cotisation... Le dernier chapitre, dû à la plume de R. Audet, R. Canet et J. Duchastel, présente un tableau intéressant de la confrontation entre la société civile et l’OMC par une nouvelle allusion au fameux consensus de Washington. On y trouve une allusion au danger de la surthéorisation de ce que recouvre la notion de société civile, ce qui ne freine pas l’élan des auteurs qui la décrivent de façon pertinente en mettant en évidence trois types d’acteurs: les conformistes, les réformistes et enfin les radicaux. Seule ombre à ce chapitre: une phrase de quinze lignes (p. 332) tout à fait illisible avec ses longues parenthèses, qui finalement dit juste que la mondialisation néolibérale a façonné un environnement essentiellement centré sur les intérêts des firmes multinationales. Plusieurs s’en doutaient.
Cet ouvrage ne manquera cependant pas d’être utile à tous ceux qui, universitaires comme militants ou simples citoyens, s’interrogent sur les défis que représentent les nouveaux enjeux internationaux et sur la façon de, non seulement y comprendre quelque chose, mais aussi d’en influencer le cours.
André Joyal. Université du Québec à Trois-Rivières. Études internationales, vol. XXXVII, juin 2007.