Dans la tourmente: deux hôpitaux militaires canadiens-français dans la France en guerre, 1915-1919
Dans la tourmente: deux hôpitaux militaires canadiens-français dans la France en guerre, 1915-1919
Dans la tourmente présente l'histoire de deux hôpitaux militaires canadiens-français mis à la disposition de la France par le Canada durant la Première Guerre mondiale. La création del’unde ces hôpitaux résulte de démarches entreprises par un médecin qui s'est fait grand promoteur de l’effort de guerre canadien-français. L’autre, «l’Hôpital Laval», a été organisé à l’instigation de la Faculté de médecine de l’Université Laval à Montréal. Tous deux sont installés dans des localités proches de Paris. Leur souvenir, demeuré présent en France, s’est éteint au Québec, ce que Michel Litalien cherche à comprendre et à expliquer.
L’auteur présente d’abord de façon générale l’effort de guerre du Canada français, puis la constitution du corps médical militaire canadien. Il livre ensuite un historique des deux établissements: formation des unités militaires en sol canadien, recrutement de leurs effectifs, entraînement, transfert vers la Grande-Bretagne et attente avant l’installation en sol français, déménagements, organisation des services et activités jusqu’à la fermeture en 1919. Suit une partie oùla composition du personnel des deux hôpitaux est analysée sous divers angles: expérience militaire antérieure des officiers, des infirmières, des sous officiers et des soldats, origines géographiques, âges, état civil, confessions religieuses. Ë noter ici une particularité intéressante: si les membres masculins du personnel sont massivement canadiens-français, il n’en va pas de même des infirmières en raison de difficultés de recrutement. Nombre d’infirmières anglophones se sont ainsi retrouvées mêlées à un corps militaire francophone, un point que souligne Desmond Morton dans sa préface. La dernière partie est consacrée aux errements de la direction des hôpitaux et aux écarts disciplinaires du personnel. Ces derniers s’avèrent particulièrement fréquents dans l’un des deux hôpitaux, ce que l’auteur attribue au désoeuvrement durant les périodes de basse activité. Paris, bien sûr, exerce ses attraits, et certains sont enclins à y répéter les visites non autorisées.
Quels facteurs évoque l’auteur pour expliquer l’oubli dans lequel sont tombés les deux hôpitaux? Déjà à l’époque de la guerre et dans l’immédiat après-guerre, l’attention générale était surtout portée vers les unités combattantes qui affrontaient les pires dangers. Les services auxiliaires situés en retrait de la ligne de front, les hôpitaux entre autres, n’étaient pas autant valorisés. La presse, d’ailleurs, ne souligna pas le retour des unités militaires hospitalières avec la même énergie qu’elle déploya pour le 22e régiment, une unité combattante. De la même façon, les historiens militaires se sont longtemps intéressés prioritairement aux troupes exposées aux tirs ennemis, avant de considérer également les autres unités. L’auteur, toutefois, estime que la responsabilité de l’oubli de l’Hôpital Laval incombe surtout à son commandant, en raison de son manque de coopération avec le registraire du Collège des médecins à propos de la rédaction d’un historique de l’hôpital. La première explication paraît la plus convaincante. L’histoire des autres hôpitaux de la Première guerre est-elle à ce point connue que l’Hôpital Laval ressorte comme une exception? Et puis, l’autre hôpital canadien-français n’est-il pas passé dans l’ombre tout aussi bien?
Le livre joue sur plus d’un registre: il tient à la fois de l’ouvrage commémoratif et de l’étude scientifique, ce qui constitue a priori un curieux mélange. De l’ouvrage commémoratif il rassemble diverses caractéristiques: d’abord cet objectif, qui conclut le livre, de raviver la mémoire d’institutions, d’événements et de personnages malheureusement oubliés; la présence d’un album de photographies au milieu; celle, en annexes, de biographies des commandants, de listes d’officiers et des membres des contingents, ainsi que d’un tableau des récipiendaires de décorations et de médailles. Ce à quoi il faut ajouter l’attention portée ici et là aux visites de personnalités connues.
Aux côtés de cette approche tournée vers le souvenir, on trouve aussi une étude menée sur un autre ton. Les notes de bas de pages et la liste des sources d’information nous rappellent que le livre constitue la publication d’un mémoire de maîtrise en histoire, et que le texte entend donc respecter les règles d’une démarche scientifique. Ë cet égard, les deux derniers chapitres, de par les thèmes abordés et de par leur traitement, se démarquent. La sociographie des effectifs, le regard porté sur les déficiences du commandement et de la gestion, sur les manquements à la discipline et sur les conflits entre les deux hôpitaux de même qu’entre divers personnages, tout cela nous mène loin de l’ouvrage commémoratif traditionnel, peu enclin, on le sait, à souligner les ratés et les petitesses de l’entreprise célébrée.
Le chercheur universitaire appréciera surtout les deux derniers chapitres. Peut-être sera-t-il moins sensible à la volonté de ressusciter un apport canadien-français ignoré, avec tout ce que cela nécessite d’informations à caractère événementiel parfois détaillées. D’autres s’enthousiasmeront plutôt pour l’aventure de ces deux hôpitaux canadiens-français dans l’Europe en guerre, mais il se peut qu’ils glissent rapidement sur les deux derniers chapitres.
François Guérard. Université du Québec à Chicoutimi.