Diplomaties en guerre. Sept États face à la crise irakienne
Diplomaties en guerre. Sept États face à la crise irakienne
Cet ouvrage collectif a pour intérêt d’examiner la position de sept États à propos de la crise irakienne de 2003-2004. Cette prise de recul permet de donner à l’ouvrage un caractère homogène malgré l’addition d’études de cas. La consigne était de situer le degré de solidarité des alliés vis-à-vis des États-Unis face à une conception de la lutte contre le terrorisme et à celle du remodelage du système international. Elle était aussi d’examiner les motivations des acteurs dans leur refus, leur soutien ou leur louvoiement au sujet de la politique américaine de renversement du régime de Saddam Hussein. Elle était enfin d’examiner les réactions américaines face à ces échelles de positionnement.
La détermination des intérêts diplomatiques, économiques et symboliques des différents acteurs considérés aboutit à un tableau complexe, mouvant et parfois contradictoire dans les prises de position des États retenus à savoir le Royaume-Uni, le Canada, la Chine, l’Allemagne, la France, la Russie et les États-Unis. Cet examen, réalisé par une équipe de professeurs, d’assistants, de doctorants et de chercheurs, est précédé d’une importante introduction riche en questionnements qui revient en vérité sur la lecture géopolitique de l’après-guerre froide autour du discours sur l’unipolarité et l’hégémonie américaine, sur les effets du 11 septembre 2001 et sur les signifiants de la guerre en Irak du point de vue de l’ordre international.
Le retour de Clausewitz, de la «guerre contre le terrorisme» et de dualisme des identités et des valeurs dominent le champ international en général, mais surtout la lecture américaine du monde. Guerre en Irak qui exprime le caractère précaire du droit comme fondement du droit international même si les États-Unis ont tenté jusqu’au bout d’assurer leur légitimité interventionniste en tentant de justifier l’intervention auprès des Nations Unies. L’autre nuance, audelà de la dialectique entre légalité/légitimité, fut l’ambivalence américaine à l’égard du multilatéralisme. Celui-ci est conceptualisé à la carte par Washington face aux autres acteurs étatiques dont les postures sont particulièrement complexes puisqu’ils naviguent entre alliances d’opportunité, pragmatisme politique, intérêts nationaux, tiraillements régionaux. Au-delà, l’introduction met en lumière le fossé croissant entre la diplomatie classique et les opinions publiques aux objectifs pluriels, tout comme l’opposition entre la coalition de volontaires et le front du refus à engager la confrontation militaire avec Bagdad, dans un paysage général où persiste l’hétérogénéité des attitudes à l’intérieur de chaque «camp». D’où l’extrême importance d’examiner plus en détail la position de chaque État. C’est tout l’objet de cet ouvrage.
La politique britannique est définie à partir de trois socles que sont le déclin historique de l’Empire, la recomposition postguerre froide et les effets du 11 septembre. Le rôle subalterne du Royaume-Uni dans la relation spéciale est mis en avant dans un cadre politique interne où dominent le cabinet Blair et l’influence permanente de la doctrine britannique de la Communauté internationale avec la rhétorique de «la force du bien». Malgré sa défense du concept d’hégémonie partagée et de réponse commune aux menaces asymétriques, le cabinet Blair ne peut occulter la perte de crédibilité gouvernementale face à l’absence d’ADM en Irak. Cette position délicate n’empêcha pas Londres de souhaiter renforcer la coopération avec les États-Unis pour des motifs technico-militaires (interopérabilité), géopolitiques (restreindre l’unilatéralisme américain) et historiques, tout en se rapprochant de l’UE pour mieux l’influencer.
La diplomatie canadienne y est dépeinte comme reposant sur une stratégie de procrastination, à savoir celle de repousser les décisions afin de se préserver une marge de manoeuvre la plus large possible et minimiser les coûts politiques et économiques face à son grand voisin du sud. Il s’agira alors pour Ottawa de rassurer les États-Unis en prenant des mesures antiterroristes internes tout en évitant d’être engagé dans les combats en Irak. Il y allait de la crédibilité d’un pays qui a mis en avant sa doctrine internationaliste libérale, le multilatéralisme, le respect du droit international et l’institutionnalisme onusien. Cette politique tout en finesse et en ambiguïté, fut également celle des contradictions qui, néanmoins, permit à la fois d’aboutir à des relations pacifiées avec les États-Unis tout en refusant de cautionner l’attitude américaine vis-à-vis de l’Irak.
Quant à la Chine, elle ne fut ni médiatrice entre les grandes puissances ni soutien direct à l’engagement américain. L’abstention chinoise et les réserves de Pékin exprimaient à la fois le refus classique d’interventionnisme caractérisant la politique chinoise, mais aussi le désir que l’Irak «reste sous contrôle» de la Communauté internationale, dans un contexte où la diplomatie de ce grand pays ne pouvait être prioritaire par rapport aux transitions politiques internes de passation de pouvoir en Chine.
À Berlin, on défend depuis longtemps le multilatéralisme onusien et la légitimité du droit international. Opposée à la guerre, la République fédérale d’Allemagne défend néanmoins le transatlantisme, la lutte contre le terrorisme et la solidarité critique. Cependant, l’émancipation structurelle de la politique étrangère allemande est bel et bien présente avec le droit de pouvoir dire «non». En outre, la crise irakienne fut un enjeu important de la campagne électorale allemande avec une forte opposition de l’opinion publique à tout engagement militaire, alimentant un anti-américanisme sous-jacent encore minoritaire. À Paris, plusieurs approches additionnelles explicitent l’attitude du chef de l’État et du quai d’Orsay. Elles reposent sur la rationalité des intérêts géopolitiques et commerciaux, la raison d’État mais aussi et surtout sur des intérêts normatifs autour des grandes notions de multilatéralisme, stabilité, sécurité collective, refus d’alignement. Le besoin d’être reconnu, la question du rang et la défense de valeurs universelles se heurtent alors aux valeurs américaines à propos de la crise irakienne, d’autant plus que l’identitaire est difficilement négociable. Le choc identitaire peut alors prendre toute sa place quand bien même la France a toujours été un allié important et sa diplomatie parfois ambiguë. Quant à la Russie, elle critiqua l’intervention de la coalition, argumentant à la fois sur la violation du droit international mais aussi sur la création d’abcès nouveaux de terrorisme consécutifs à cet engagement militaire. Tout comme la Chine, les intérêts diplomatiques et la défense du principe de souveraineté interne donnèrent lieu à un positionnement souple, car la priorité restait la lutte antiterroriste, la lutte antiprolifération et le maintien d’une bonne relation avec les États atlantiques et européens.
L’ouvrage se termine par une analyse des représentations de la menace irakienne faites par les dirigeants américains dans leurs relations avec leurs différents alliés. En examinant l’entreprise de construction de la menace, on y souligne le poids des experts de la sécurité nationale, l’importance de l’histoire et de la culture stratégique des agents gouvernementaux, la prégnance des agents d’influence des puissants think tanks, tout comme les effets du 11 septembre sur la définition de la menace.
Le discours sur l’ami-ennemi, la doctrine de guerre préventive et une représentation subjective du monde aboutirent alors à une vision manichéenne sur la menace. Eléments qui permirent aussi d’entretenir l’image quelque peu surfaite de la relation spéciale anglo-saxonne, de discréditer la position franco-allemande de la «vieille Europe» tout en jouant sur la dette contractée le 6 juin 1944, et finalement tester le fidélisme des nouveaux partenaires russes et chinois dans la lutte contre le terrorisme.
Diplomaties en guerre permet bel et bien un déchiffrement des postures nationales autour de la guerre en Irak dont les auteurs ont affûté leur plume de manière à la fois fine et délicate. L’ouvrage s’adresse autant à l’honnête homme qu’à l’universitaire qui souhaitent une première prise de recul sur cette période troublée et qui n’a pas encore tiré sa révérence.
André Dumoulin, École royale militaire, Bruxelles. Études internationales, vol. XXXVII, no 2, juin 2006.
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Voici un livre pour les spécialistes et les étudiants de science politique et de relations internationales. Les auteurs, professeurs et étudiants en études supérieures, ont travaillé à un projet de recherche sur la politique étrangère et la réaction de sept pays à la suite de l'intervention américaine en Irak: la Russie, la Chine, la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et le Canada.
Le cas canadien est intéressant, voire amusant. Car c'est l'apparent manque de leadership du gouvernement face à cet enjeu qui lui a finalement permis de ménager la susceptibilité américaine et de ne pas trop souffrir de son opposition à la politique de son voisin. Soucieux de ne pas piquer l'orgueil de notre principal partenaire commercial, ce dernier fort préoccupé de sa sécurité depuis le 11 septembre, Ottawa a tergiversé, patiné, louvoyé. Mais cette ambivalence s'est révélée payante, en ce que, bâtie petit à petit, tout doucement, sans brusque mouvement, la politique canadienne a moins irrité le gouvernement Bush qu'une opposition plus ouverte. «Dans ce contexte, l'ambivalence - voire parfois les contradictions - du gouvernement Chrétien permit d'étirer l'élastique des relations canado-américaines au maximum sans pour autant le rompre.»
Un même profil bas a animé le gouvernement chinois, qui a cherché à s'allier les États-Unis dans sa guerre aux mouvements d'opposition violents sur son propre territoire, mais sans s'aliéner le gouvernement Bush dans sa volonté d'en découdre avec Saddam Hussein: la Chine a pris une position neutre au Conseil de sécurité de l'ONU. Voilà une attitude qui tranche avec celles de la France, frondeuse, gaullienne, et de la Grande-Bretagne, alignée sur celle de la Maison-Blanche.
On retient de l'ouvrage qu'au-delà des intérêts propres à chacun des États, une conception résolument axée sur le multilatéralisme, sur les valeurs à promouvoir pour le monde de demain, ont joué un rôle de premier plan.
Yvan Cliche. Nuit blanche, no 102, avril 2006.
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C'était mal parti. Avec ses «moments unipolaires», «régulation internationale», «interlude latéral» et autre charabia postdoctoral, on craignait avoir à conclure que Diplomaties en guerre - Sept États face à la crise irakienne ne s'adresse qu'aux initiés. Mais non! Sans être l'ouvrage le plus accessible sur le sujet que nous ayons eu sous la main, le recueil nous apprend des choses fort intéressantes sur tout le ballet diplomatique et politique ayant précédé l'entrée ou non en guerre de six pays aux côtés des États-Unis contre l'Irak en mars 2003. Ainsi, au Canada, le gouvernement Chrétien a joué la stratégie de la procrastination afin de minimiser les coûts politiques et économiques de son choix. Mais on s'amuse aussi à lire combien les États-Unis ont utilisé la rhétorique très canadienne sur le caractère spécial de la relation canado-américaine pour imposer de nouvelles règles continentales en matière de surveillance et de sécurité.
André Duchesne, La Presse, 8 janvier 2006.
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Au cours des quelque sept mois qui ont précédé l'invasion anglo-américaine de l'Irak, le 20 mars 2003, les principales puissances ont dû se prononcer non seulement par rapport à une opération militaire que la plupart d'entre eux ne croyaient pas nécessaire, mais aussi et surtout face à leur solidarité avec ces derniers. Celle-ci était toujours plus mise à rude épreuve au fur et à mesure que l'on découvrait l'ampleur de la manipulation de certains faits, les informations tronquées et les «dérapages» ayant conditionné la guerre en Irak, sous couvert de la guerre préventive, et qui semblerait inaugurer une nouvelle phase des relations internationales, vue de certaines chancelleries, celle de la légitime défense.
La décision de faire ou non, de soutenir ou de critiquer la guerre à l'Irak est devenue l'un des épisodes clés des relations internationales; un moment où face à une seule guerre se rencontraient de multiples conceptions du monde. Ainsi, la Russie, la Chine, la Grande-Bretagne, la France, membres du Conseil de Sécurité de l'ONU mais également l'Allemagne et le Canada qui les rejoignent au sein du G8, ont, pour des raisons diverses, choisi leur camp et s'appliquent à agir en fonction d'intérêts géopolitiques qui touchent l'ensemble des acteurs de la scène internationale, avec en ligne de mire, une préoccupation largement partagée de lutter contre le terrorisme.
De ce point de vue, l'ouvrage se démarque largement en évoquant avec justesse l'ère nouvelle issue des attentats de septembre 2001 ayant conditionné la guerre en Irak, en invoquant tantôt un consensus, tantôt un compromis, qui correspond assez justement à la volatilité de l'état de l'opinion des sept diplomaties analysées qui participent à l'ordre international.
Il met en évidence un jeu de rôle fluctuant, aux intérêts croisés, entre relation transatlantique historique et émergence d'une solidarité européenne, qui se révèle tant au niveau des relations bilatérales que les Etats-Unis entretiennent avec les Etats évoqués, mais aussi sur toile de fond de la conception que chacun se fait de la prégnance du droit international et du multilatéralisme et du rôle structurant joué par les Nations Unies dans ce contexte.
Les nombreux contributeurs de cet ouvrage collectif, tous chercheurs et enseignants du Centre d'Études des Politiques Étrangères et de Sécurité (CEPES) de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) examinent en détail la position de chacun de ces États et la lecture que leurs dirigeants font du dossier irakien, selon leurs propres opinions publiques et choix indépendants en matière de politique étrangère. Un dernier texte analyse également les réactions des Américains à ces prises de position.
Ainsi, le mérite de cet ouvrage réside dans les analyses fines de ce nouveau contexte géopolitique; car la guerre en Irak a durablement affecté les rapports des États-Unis, hyperpuissance parfois perçue comme arrogante avec quelques-uns de ses partenaires les plus importants, grandes puissances soucieuses de participer activement au fonctionnement du système international. La guerre en Irak aura ainsi créé, dans certains cas, des divisions profondes qui risquent d'avoir des conséquences à long terme pour l'avenir des relations internationales. Cette approche comparative est d'autant plus pertinente, qu'elle tient compte minutieusement des fondements d'un nouvel ordre international, caractérisé notamment par la volonté de l'ancrer dans l'unipolarité qu'accompagne la capacité d'adhésion ou de rejet à cette thèse, l'irrationalité de certaines décisions prises, du rôle prépondérant joué par l'idéologie ainsi que les conséquences internes et externes, en tenant compte par exemple du cadre européen, pour ce qui concerne les trois diplomaties concernées (France, Grande-Bretagne et l'Allemagne).
Ainsi, la justesse de l'analyse de cet ouvrage réside peut-être dans la conclusion que chaque lecteur pourra tirer de ce rapport de force nouveau, que l'on pourrait résumer sous le vocable «d'associés-rivaux».
N'est-ce pas PALMERSTON, Premier ministre britannique du 19ème siècle qui rappelait que les nations n'ont pas d'amis, elles n'ont que des intérêts, c'est aussi vrai que l'ont soit à Ottawa, Washington, Londres, Berlin, Paris, Moscou ou Pékin.
Emmanuel Dupuy, La Lettre de l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité de l'Europe, no 85, mars-avril 2006.