Guide du maintien de la paix 2006
Guide du maintien de la paix 2006
Nos lecteurs sont des habitués du guide de Jocelyn Coulon. Cette année, les collaborateurs du Guide font une sorte de bilan du Rapport Brahimi cinq ans après son dépôt. Rappelons que le Rapport Brahimi, du nom d'un diplomate algérien connu, faisait suite à des blâmes sévères encaissés par l'ONU après l'échec de ses missions au Rwanda et en Bosnie. Le comité dirigé par Lakhdar Brahimi avait alors recommandé au secrétaire général une soixantaine de mesures visant à remédier à des manquements institutionnels, qui ont entravé ou empêché la prise de décisions qui auraient pu éviter les fiascos que l'on sait. On visait en particulier les dysfonctionnements au Département des opérations de maintien de la paix, le manque d'informations stratégiques, une doctrine d'intervention inadaptée aux terrains bosniaques et rwandais et la lenteur des déploiements pour ne mentionner que les problèmes les plus graves.
Cinq ans après, l'ONU a-t-elle fait des progrès? La réponse officielle est donnée par Jean-Marie Guéhenno secrétaire général adjoint et nouveau chef du Département des opérations de: maintien de la paix: «nous avons tout lieu d'être confiants» mais attention, «l'optimisme béat n'est pas de mise», car des «États déliquescents» (p. 31) peuvent imploser à tout moment. Selon monsieur Guéhenno, les narco-trafiquants et les terroristes internationaux pourraient alors profiter des vides créés pour déstabiliser de vastes régions du monde et par conséquent menacer des populations entières.
Justement, l'un des problèmes majeurs que visait à redresser l'ONU depuis Brahimi est la considération grandissante qu'il faut maintenant accorder à la sécurité des populations. Galia Glume discute la responsabilité de protéger, malheureusement sans échapper au piège rhétorique dam lequel s'enferment trop facilement les intellectuels du maintien de la paix: «responsabilité de protéger», «subsidiarité», «gradualisme», «force de réaction rapide».
À ce dernier sujet, il faut aussi lire l'article de Josiane Tercinet professeure de droit à Grenoble II, qui n'est pas très optimiste. Ce projet ancien bute sur deux réalités qui demeurent insurmontables pour l'instant: le monopole de la force dont sont jaloux les États souverains (donc les membres de l'ONU et le malaise paralysant ressenti par l'ONU même quand vient le temps d'user de la force). On a souvent reproché à plusieurs États membres de refuser de donner à l'ONU les moyens d'intervention qu'elles demandent; la culture de l'Organisation semble un obstacle aussi difficile à surmonter.
C'est ainsi que j'interprète certaines remarques de Xavier Zeebroek, du Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité à Bruxelles. Retraçant l'origine et analysant quelques cas de missions «multifonctionnelles» ou «intégrées», c'est-à-dire qui comportent plus que le simple aspect de séparation des parties en conflit par des Casques bleus, monsieur Zeebroeck pose une question à laquelle l'ONU ne parvient toujours pas à donner de réponse satisfaisante: «Que faire lorsque le soldat de la paix se transforme - même pour les meilleures raisons du monde - en guerrier redoutable?» (p. 94)
Lucien Monokou de l'Institut de recherche en sciences humaines de Libreville Catherine Délice, doctorante à Grenoble II et Madeleine Odzolo Modo, autre doctorante à Grenoble II, complètent le dossier en abordant des aspects plus formels, respectivement la diplomatie préventive (dans le contexte de l'arrivée du Secrétariat à l'information et à l'analyse stratégique), la planification et le déploiement des missions depuis Brahimi et les rapports avec les organisations régionales de paix et de sécurité comme l'OSCE l'OEA, l'ASEAN eu l'OUA
Quelques articles hors-dossier suivent, de Marc André Boivin sur l'Afghanistan et d'Emad Awwad sur l'Union africaine mais il faut surtout lire la contribution de Béatrice Pouligny, de l'Institut d'Études politiques de Paris l'une des critiques les plus judicieuses des opérations de paix. L'intérêt de sa critique réside dans le regard qu'elle choisit d'utiliser non pas ceux des «experts», mais plutôt celui des «sujets» de l'expérience c'est-à-dire la population vivant dans l'environnement des Casques bleus. Avec la responsabilité protéger dont s'est avisée l'ONU récemment le regard des populations concernées prend de l'importance. Or, ce regard n'est pas uniment favorable, loin s'en faut. Il suffit de citer la conclusion de madame Pouligny2 (P. 186):
«[D]ans tous les pays, on est frappé par l'absence d'intérêt des missions et de l'immense majorité de leurs membres, pour les populations, ce qu'elles pensent, et l'absence de tout sens de:“responsabilité” à leur égard (accountability). Tout se passe comme si, intervenant dans des situations désespérées à plus d'un titre, on considérait que les populations locales devaient se contenter de nous accueillir en «sauveurs». Il n'en est rien.»
Béatrice Pouligny utilise des informations qu'elle a collectées sur le terrain au milieu des années 1990 après le Rwanda et la Bosnie, pendant que le comité mené par Lakhdar Brahimi préparait sent rapport. La situation a-t-elle vraiment changée depuis? L'optimisme d'un Jean-Marie Guéhenno est-il de mise? Ouvrez le Guide mouture 2006, vous y trouverez quelques clés pour vous faire votre idée sur la question.
Comme d'habitude le Guide se termine sur la chronologie annuelle (de Stéphane Tremblay), le rapport statistique et la mise à jour des sites Internet (ces deux derniers par Mélanie Pouliot). Un bon index complète le produit.
Cette cinquième édition, la troisième dans sa forme actuelle, profite aussi d'un saut qualitatif opéré par la maison d'édition: un papier de meilleure qualité, plus blanc et plus robuste. Pour un guide annuel qui constitue une référence à conserver, c'est appréciable.