Guide du maintien de la paix 2007
Guide du maintien de la paix 2007
Le 5 novembre 1956, au plus fort des combats entre belligérants autour du canal de Suez, l'Assemblée générale des Nations unies adoptait une résolution créant la première force d'interposition: les Casques bleus étaient nés. Depuis 50 ans, ils jouent un rôle dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale. Aujourd'hui, il y a de par le monde 30 missions de paix, conduites par différentes organisations ou groupes d'États. Cette multiplication des missions soulève une question: qu'est-ce qu'une opération de paix? Dans la cinquième édition de cet excellent guide des hommes en bleu, les missions en cours sont détaillées, mises en tableaux, les résultats comme les perspectives sont analyses.
Alain Reissenfeld, Les nouvelles du Grip, no 42, 2006.
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Depuis 2003, Jocelyn. Coulon publie un guide sur les opérations de paix chez Athéna éditions. L'édition de cette année se décompose en quatre parties: un dossier thématique dirigé par Coulon, une chronologie détaillée (du 6 juillet 2005 au 15 juillet 2006) préparée par Stéphane Tremblay, et deux parties sous la responsabilité de Charles Létourneau donnant des statistiques et des références Internet. Le dossier est le résultat d'un colloque tenu au printemps 2006 pendant lequel les invités se sont efforcés de redéfinir la nature des opérations de paix une cinquantaine d'années après les premières tentatives, alors que la nature des interventions, de plus en plus des guerres civiles où se multiplient les groupes armés, a changé considérablement. Des analystes et des acteurs connus ont participé au dossier: mentionnons William Durch et Trevor Findlay chez les analystes et les généraux Patrice Sartre (France) et Robin Gagnon (Canada), deux anciens commandants d'opération. Notons en particulier l'appel du général de brigade Sartre (p. 96-97) à la formation de force de police lourde (comme les gendarmeries française ou italienne), car les polices civiles habituelles sont insuffisamment armées et entraînées, et les forces armées sont devenues trop petites et auront toujours à limiter leur «agressivité», une qualité pour des troupes de combat mais qui peut être un facteur de détérioration des relations entre Casques bleus et population.
Yves Tremblay, Bulletin d'histoire politique, vol. 15, no 3, 2007.
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Chacun est maintenant conscient que le maintien de la paix avec ses excroissances que sont la reconstruction des structures étatiques, la prévention des conflits et le rétablissement de la paix, et enfin son imposition occupent une place dominante dans l’après-guerre froide. Cette 5e édition du Guide du maintien de la paix toujours très instructive rappelle l’importance de la notion de légitimité et d’impartialité des actions onusiennes avant de nous présenter les actes d’un séminaire ténu à Montréal en mai 2006 (coorganisation CEPES et Centre Pearson) à propos de la définition sémantique et politique d’opération de paix.
L’ouvrage est structuré en huit dossiers et se termine par une chronologie du maintien de la paix (Tremblay) et plusieurs données statistiques et documentaires (Létourneau) très utiles.
La première contribution (Durch et Berkman) traite des questions complexes autour de la Définition et la délimitation des opérations de paix en rappelant l’évolution historique du maintien de la paix, puis son application aux opérations de paix actuelles plus complexes et plurifonctionnelles.
Concept évolutif, assimilant la complexité des environnements déstructurés, poussant les États à intégrer de nouveaux concepts dans leur doctrine d’opération et d’outillage, les auteurs décrivent la controverse autour de la typologie des opérations de paix et les questions sémantiques autour de la terminologie. Chaque taxinomie proposée se complique du fait du caractère hybride des missions, du type de mandats et des zones d’intervention; structuration devant elle-même tenir compte de l’évolution de la doctrine (nationale, onusienne, otanienne) et de l’évolution mouvante de la situation sur le terrain dont les acteurs internes fonctionnent souvent avec des agendas cachés.
La deuxième contribution (Novosseloff) examine les normes mises à l’épreuve du rapport Brahimi (2000) à travers l’examen d’opérations de paix onusiennes. Le plus souvent, les documents conceptuels furent dépassés ou passablement perturbés par les situations exceptionnelles du terrain. Alors que les opérations de paix de l’ONU ont un statut hybride (chap. six et demi) et un caractère spécial, elles impliquent de multiples acteurs et des situations chaque fois spécifiques. Il nous faut également tenir compte des questionnements sur la stratégie d’entrée et les contraintes calendaires et politiques de la stratégie de sortie de crise et de désengagement à la carte. Malgré la nécessité de l’accord préalable des parties au conflit, du mandat clair et du soutien des États participants, le quotidien des opérations de maintien de la paix évoluera toujours entre contraintes budgétaires, incertitudes du terrain et crédibilité capacitaire des casques bleus.
Quant à David Last, il distingue brillamment le maintien de la paix du maintien de la paix impérial par le biais de l’examen du lexique et ce, à partir d’exemples historiques liés au maintien de la paix et aux anciennes pratiques du colonialisme et de l’impérialisme. Il s’agit aussi d’examiner dans le champ historique les liens entre le maintien de l’ordre dans les communautés et la gestion des marchés. Enfin, l’auteur nous présente le défi autour de la gestion des marchés dans les conflits prolongés. Après avoir présenté diverses critiques intellectuelles autour du maintien de la paix, l’argumentaire des impuissants et leurs relais, ainsi que les intérêts internationaux, Last nous entraîne dans l’espace économique, entre les effets des critères FMI jusqu’aux marchés des matières premières hautement belligènes, les polices expéditionnaires et le maintien de l’ordre économique colonial ou encore le jeu des multinationales et la police de proximité internationale.
Patrice Sartre aborde pour sa part la question de la conception pratique des opérations de paix aujourd’hui et plus particulièrement les trois domaines qui peuvent encore être améliorés: une perception mieux partagée de la crise, une plus grande cohésion des chaînes de décision et une organisation plus cohérente de l’usage de la force. À partir des exemples rwandais, bosniaques et sierra-léonais, il nous montre les lacunes qui présidèrent à la connaissance des causes fondamentales de la crise ainsi que les motivations réelles et les stratégies indirectes des fauteurs de troubles. Il nous présente également les notions de cohésion verticale, de coordination horizontale, de cohésion temporelle ainsi que l’adaptation souple de l’emploi de la force fondée en grande partie sur la culture du renseignement.
Quant à Robin Gagnon, c’est en tant qu’ancien commandant canadien qu’il analyse l’implication des Forces armées canadiennes dans la mission de l’ONU en Haïti. Cette étude de cas révèle les opportunités mais aussi les limites opérationnelles et les contraintes politiques à la fois onusiennes et nationales dans le cadre de la MITNUH. L’importance de la chaîne d’imputabilité reliant militaires et pouvoir civil mais aussi les attentes des militaires en matière de responsabilité gouvernementale, de mandat clair et précis, de synergie avec les acteurs non militaires restent encore aujourd’hui les balises à partir desquelles peuvent opérer de nouvelles améliorations à apporter à la gestion des crises, dont la nécessité de concilier simultanéité et synchronisation dans les opérations militaires et civiles.
Les dernières contributions sont le fait de Trevor Findlay qui analyse avec précision le comment, le quand et le pourquoi de la notion de recours à la force, avec les limites que sont le poids des États, la faiblesse doctrinale et de rendement capacitaire, tandis que Victor-Yves Ghebali s’attache aux missions OSCE perçues comme outil de prévention des conflits et de consolidation de la paix, toujours dans un fonctionnement au cas par cas mais dans l’esprit des dispositions du chapitre VIII de la Charte. Enfin, Michel Liégeois analyse la nouvelle place de l’Union européenne dans les opérations de maintien de la paix de l’ONU.
Toujours attendu par la qualité globale de ses contributions, le Guide du maintien de la paix reste une source d’informations particulièrement riche pour le monde académique, estudiantin et journalistique tout en apportant dans cette édition 2007 plusieurs analyses très fines sur la dimension sémantique de l’univers des missions de maintien de la paix.
André Dumoulin. École royale militaire, Bruxelles. Études internationales, juin 2007.