Rupture libérale (La). Comprendre la fin des utopies en Islam
Sami Aoun, La rupture libérale. Comprendre la fin des utopies en Islam
« L’introspection en profondeur de ce que Malek Chebel appelle “l’inconscient de l’Islam” » reste un espoir, affirme Sami Aoun. « Sinon le constat sombre et pessimiste qui circule dans la culture arabe » selon lequel « les Arabes sont sortis de l’histoire mondiale restera un verdict lourd de conséquences », ajoute-t-il. On oubliera que la nationalisation du canal de Suez par l’Égypte en 1956 fut objectivement un tournant dans la si nécessaire décolonisation.
Dans son essai La rupture libérale. Comprendre la fin des utopies en Islam, le politologue québécois d’origine libanaise et chrétienne souligne que depuis Gamal Abdel Nasser (1918-1970), qui libéra le canal de Suez des tutelles britannique et française, « aucun leader n’a émergé avec son calibre et à sa hauteur ». Selon lui, « il est apparu de plus en plus que la rue arabe demeure plus encline à réagir au discours religieux qu’au discours nationaliste arabe ».
Malgré l’autoritarisme et le caractère antidémocratique du régime nassérien, son anticolonialisme et son panarabisme le rapprochent un peu du libéralisme politique et du principe des nationalités, tous deux chers à l’Europe progressiste du XIXe siècle. En dépit de l’échec du panarabisme, Aoun n’hésite pas à comparer vaguement Nasser à Bismarck, l’unificateur de l’Allemagne.
Mais il ne pèche guère par optimisme en analysant la situation du monde arabe. D’emblée, il soutient : « L’échec actuel du Printemps arabe est la preuve convaincante de l’impossibilité d’établir une démocratie libérale ! » Il va même plus loin en déclarant : « Il devient presque impossible de ne pas considérer la religion comme l’unique responsable de la décadence de la culture arabe ou comme l’unique source de légitimation de la violence contre l’Autre. »
Ce qui ne l’empêche pas de souligner l’importance d’un précurseur du libéralisme dans le monde arabe comme Ahmed Lutfi al-Sayed (1872-1963). Il s’agissait d’un intellectuel égyptien qui, recteur de l’Université du Caire, reconnaissait la diversité religieuse et pensait que la nation n’avait pas à se soumettre à un État despotique.
De manière plus récente, Aoun maintient que la Tunisie, d’où est né le Printemps arabe, constitue l’exception dans cette région du monde. Même si, d’après lui, le pays« reste incapable de sauver l’espoir libéral », le simple fait d’admettre en droit des principes extérieurs au Coran le rend prometteur.
En déplorant que l’alliance de tant de grandes puissances, en particulier en Occident, avec l’Arabie saoudite, où règne, protégée par l’État, l’une des pires formes d’intégrisme musulman, le wahhabisme, Aoun met le doigt sur la plaie. C’est comme si les démocraties libérales, dont le Canada, contribuaient par leur myopie à effacer le souvenir d’un Printemps arabe qui, de toute manière, n’a jamais été une éclosion.
Michel Lapierre, Le Devoir, 2 avril 2016