Un siècle d'oubli. Les Canadiens et la Première Guerre mondiale (1914-2014)

Un siècle d'oubli. Les Canadiens et la Première Guerre mondiale (1914-2014)

Rappelant en introduction que «plus de soldats canadiens ont pris part à la Première qu'à la Seconde guerre mondiale et (que) près d'une fois et demie plus d'hommes y ont perdu la vie, pour une population une fois et demie inférieure», l'auteur précise également que si l'histoire militaire stricto sensu n'est qu'une composante de l'histoire des guerres, plus large, les deux sont complémentaires. Jean Martin se propose ensuite de rétablir un certain nombre de réalités sur le corps expéditionnaire canadien en France, à partir des archives et de documents déjà publiés mais épars.

En huit chapitres, il aborde en particulier la question de la composition du corps expéditionnaire, de la provenance des soldats (de très nombreux Britanniques originaires d'autres territoires que le Canada lui-même mais installés au Canada, tout au long du conflit) et des officiers (essentiellement nés, eux, au Canada) et constate que le célébrissime 22e bataillon est de loin «le plus canadien». Il évalue à la hausse d'ailleurs, la contribution des Canadiens francophones. L'auteur s'intéresse ensuite à l'emblématique bataille de Vimy. Il refait l'historique des combats dans ce secteur puis détaille les opérations d'avril 1917: «la journée du 9 avril sera la plus coûteuse en pertes de la guerre pour le Canada, mais le succès est complet». Au-delà de l'image d'Epinal et des mémoires plus ou moins reconstruites (anecdote de la tempête de neige), Jean Martin redonne aux combats leur juste place, considérant que c'est un succès que le Canada doit partager avec d'autres. Il s'attache ensuite à étudier le CEC dans sa globalité, ses pertes au fil des mois, l'âge des hommes et le cas particulier de quelques minorités. Pour les pertes, il s'efforce de déterminer au fil du temps le pourcentage entre blessés et tués en fonction des périodes, et d'identifier le nombre et les caractéristiques des malades, des prisonniers, des gazés, des mutilés volontaires, etc. Un travail impressionnant illustré par de nombreux tableaux et graphiques. Enfin, il relève que de nombreux Canadiens servant dans d'autres armées alliées, britannique bien sûr, mais aussi australienne, et parfois même française (au moins 17 légionnaires), et nous présente quelques cas individuels tout-à-fait particuliers, comme ce soldat engagé à un jet de pierre de sa maison natale près de Loos-en-Gohelle, ou ce capitaine qui avait auparavant servi dans deux régiments français avant de partir s'installer au Canada. La dernière partie, enfin, s'intéresse à la question de la conscription, de la crise qui traverse à ce moment-là le pays et de «l'opposition» si souvent évoquée du Québec (il rappelle l'origine et le déroulement des graves évènements de mars 1918).

En résumé, un bon et beau livre d'histoire militaire (pardon, d'histoire des guerres..., ou bien les deux peut-être?). Un livre précis, utile, important pour mieux connaître et comprendre la réalité de la contribution canadienne à la Grande Guerre.

Rémy Portehttp://guerres-et-conflits.over-blog.com/2015/03/memoires-et-histoire-canadienne-s.html

•••

En ce jour du Souvenir, ils étaient 50 000 autour du Monument commémoratif de guerre du Canada à Ottawa. Stephen Harper, précipitamment arrivé de Chine et en partance pour l'Australie, était au milieu afin qu'on le remarque.

Il aime tant nos soldats, du moins pour la photo. Le ministère de la Défense, lui, ne dépense pas toutes les sommes allouées pour acheter du matériel dont ils ont cruellement besoin. L'argent est reversé au trésor public pour dégager ce surplus si important l'an prochain lors des élections.

Ils étaient donc réunis, très nombreux. Le centenaire de la Première Guerre mondiale et les événements récents où deux militaires ont été tués à Ottawa et à Saint-Jean-sur-Richelieu en ont incité plusieurs à faire le déplacement. À Québec, l'Assemblée nationale, unanime, a observé une minute de silence. Françoise David, chef de Québec Solidaire, a rappelé, avec raison, qu'il était aussi opportun de rendre hommage aux millions de civils tués. Il faudra bien penser à eux aussi, un jour.

Le 11 novembre est le jour du Souvenir, mais de quoi se souvient-on au juste à cette occasion ? La population fait preuve d'une certaine ignorance sur l'objet de la commémoration, l'armistice, c'est-à-dire le moment où fut signé l'acte qui mit fin à la Première Guerre mondiale. Certains répondent que cette date souligne le sacrifice des militaires morts au cours de toutes les guerres, d'autres, seulement de la Seconde Guerre mondiale. Ils n'ont pas tort. Avec le temps, cette commémoration particulière a fini par honorer tous les militaires tombés pour le Canada.

Au Canada, la Première Guerre mondiale reste pourtant un moment fondateur et un objet de controverse.

Un ouvrage à découvrir

Dans un livre documenté, rigoureux, argumenté, Un siècle d'oubli, publié récemment chez Athéna Éditions, l'historien Jean Martin explore la face cachée de l'engagement canadien. Premier mythe déboulonné, la Seconde Guerre mondiale n'est pas la plus importante des guerres canadiennes, comme on le croit généralement sous l'effet de la culture cinématographique américaine. «Dans les faits, écrit l'auteur, plus de soldats canadiens ont pris part à la Première qu'à la Seconde Guerre mondiale» et 65 000 y sont morts, contre 45 000 en 1939-1945. Le Canada a vraiment connu son baptême du feu à ce moment-là et est devenu quelque chose comme une nation.

Deuxième mythe écorné, celui du Canadien français rebelle, résistant à la guerre et à la conscription. Ici, il faut lire le livre pour apprécier toute la finesse de l'analyse de l'auteur sur cet épisode agité de notre histoire. Mais résumons.

Le déclenchement des hostilités est accueilli avec enthousiasme en Europe et dans l'Empire britannique. Au Canada, les plus ardents sont les Britanniques fraîchement arrivés. Au début, ils vont constituer l'écrasante majorité des volontaires. Les Canadiens anglais sont plus réservés. Chez les Canadiens français, l'attitude est mitigée. Il n'y a pas de nouveaux arrivants parmi eux. Ils sont Canadiens depuis le XVIIIe siècle. Ils représentent 30% de la population et vont fournir au début du conflit 17% des volontaires nés au pays.

La conscription change les choses. Si les Canadiens français résistent, l'histoire de leur fuite massive en forêt est une fable. Ils ne sont pas les seuls à résister. Si la conscription est imposée, c'est aussi parce que le flot de volontaires anglophones se tarit. Dans l'Empire, des émeutes éclatent en Irlande et d'immenses manifestations ont lieu en Angleterre contre cette mesure. Au bout du compte, 93% des francophones tués au cours de la guerre étaient des volontaires, ce qui n'empêche pas, comme a pu le constater l'historien, que certains de ses confrères ne cessent d'écrire sur cet épisode comme s'il représentait toute l'expérience de cette guerre.

Le souvenir de la Première Guerre mondiale s'estompe lentement. C'est bien normal. Jean Martin nous invite à ne pas oublier.

Jocelyn Coulon. La Presse, 13 novembre 2014.

•••

Jean Martin’s book appeals to researchers to study more closely, and differently, several overlooked aspects of Canadian participation in the First World War. He does not argue, as the title may suggest, that the Great War has been forgotten. Approximately 620,000 Canadians enrolled, mostly voluntarily, from a population of only 8 million at the time and about 65,000 did not see the end. Canadians were deeply affected and Martin acknowledges that most of the battles have been well recorded, notably in the Official History of the Canadian Expeditionary Corps (CEF) by G.W.L. Nicholson. Instead, he argues that historians should explore some of the neglected documents that detailed significant military and social aspects during the War. Appropriately Athéna éditions published the work. The 34th title in their French language ‘collection histoire militaire,’ this series has contributed greatly over the past twelve years to filling many previous holes in the study of Canadian military history, particularly relating to French-Canadian participation.

The first of eight chapters analyses the composition of the early Canadian contingents sailing overseas, emphasizing the omnipresence of British objectives and personnel as the majority of volunteers were recent immigrants. The percentage of French-speaking volunteers (about 5%) was lower than their proportion of the population (about 30%), certainly understandable and well-known. Martin argues convincingly that relatively smaller does not mean insignificant as this group was still very large in the total Canadian Expeditionary Force (CEF). The Navy and Air force are not studied. Another chapter provides detailed statistics selected from sailing lists, death registers of the Commonwealth War Graves Commission and daily casualty lists. He estimates, using the innovative approach of comparing percentage of deaths rather than the enrollment papers which did not record language, that of the 435,000 Canadians that served in Europe 21,000 were French-Canadians, or 6% of their male population aged 18 to 45. More importantly he notes that the thousands of Francophone soldiers experienced unique situations over four years in an English-speaking Army that affected the subsequent evolution of both European and Canadian history and deserve closer study.

Too often French language studies of Canadian history during the period have focussed exclusively on the issue of conscription when they refer to the war. Martin, in his final chapter, discusses conscription and its not insignificant consequences but insists that one issue, applied only in the final year of the war, should not completely eclipse all others. For example, a chapter discusses briefly the significant relationships between Canadians and the local French population, notably in Artois, relationships that could be studied as have those between the British population and Canadian soldiers before or after battle. Another chapter proposes looking more closely at the experiences of French-Canadians in the French Foreign Legion as well as other non-natives in the ranks of various countries. English-speaking Canadian historians have been more thorough with the recording of military events, Martin notes, but he proposes that they dig deeper into the many unexplored social aspects that marked the time. Desmond Morton's ground-breaking 1993 work When Your Number’s Up: The Canadian Soldier in the First World War should serve as model, he argues, to show how the war affected soldiers and nations in many under-studied ways.

Concerning the study of the military events this book concentrates on the CEF at Vimy Ridge, devoting two of the eight chapters. Jean Martin has led battlefield tours around Vimy and his knowledge of the area adds a welcome dimension to the account. He warns that as Canadians prepare to commemorate in April 1917 what has become the most famous of their Great War battles, myth should not replace reality. Canadians fought well and successfully at Vimy, benefitting from careful preparation and appropriate artillery support, but not on their own. British and French efforts over the previous two and a half years were indispensable. Further, he suggests that images of heroic victory, more common in post-war North American monuments than in Britain and France where so many more were so deeply and disastrously affected, should be minimized.

A brief description of other military events is summarized in another chapter. But for Martin, as he repeats in his conclusion, the major gap he sees in Canadian memory of the Great War is in the understanding of the many non-battle events from 1914 to 1918 that so profoundly affected the post-war world. This fascinating account encourages the reader to reconsider how Canadian participation in the war has been told. It is not, however, a historiographical study; many recent studies on the CEF, notably the works of Tim Cook, are curiously absent from the bibliography. Nevertheless Jean Martin has succeeded in providing many innovative techniques and uncovering neglected sources that will help historians study Canadian participation in the Great War in new ways.

John MacFarlane, Journal of Military History, avril 2015.